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Château de Farcheville

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“Moi-même j'ai relevé des traces dans la neige

NOUS DIT, AU COURS D'UN PATHÉTIQUE ENTRETIEN

LA FEMME DU GARDE-CHASSE ASSASSINÉ

PAR LES BRACONNIERS DANS LES BOIS DE VAYRES

— «A la Colite du Parco, m'a renseigné le cantonnier à qui je de- mandais de m'indiquer la demeure de Verglas, le garde-chasse assassiné par des « bracos ».

La maison n'est qu'un pavillon d'angle de fa vaste enceinte du do- maine de Farcheville. Farcheville c'est le château, tel qu'en 1291 le fit bâtir Hugues II de Bouvjlle, chevalier et intendant de Philipe le Bel.

Aussi “bien, au pavillon de « la Corne du Parc », n'ai-je trouvé que le fils de Verglas. Dix-sept ans, mais attardé dans sa croissance par une infirmité de naissance. Il ne parle pas de son père comme d'un absent pour toujours. Il dit, avec un calme innocent :

— On l'a retrouvé dans l'eau, la moitié de la figure hachée par le plomb de chasse. Mais maman va vous parler elle est au château.

L'actuelle châtelaine, la mère de M. Reynal, le propriétaire, a l'ac- cueil affable :

— Ce crime nous a tous boulever- sés, raconte-t-elle, et le pays en est tout retourné. H va y avoir un siè- cle que ma grand-mère avait acheté ce château. Eh ! bien, depuis le vivant de la pauvre femme, jamais, à des lieues à la ronde, il n'y avait eu de meurtre. Maintenant, ici, j'ai peur.

Et d'évoquer l'histoire des oubliet- tes où la grand-mère, en 1843, dé- couvrit des squelettes. Les ossements ont disparu, mais l'oubliette existe toujours dans les fondations même de la Tour. du Couchant.

Avais-je besoin de cette visite pour sentir ici l'atmosphère tragique, mais plus encore étrange, de cè drame des champs et des bois ? Me voici devant Mme Verglas. Petite, noire de cheveux autant que de ses vêtements de deuil, elle parle,

d'abord volubile, de l'enquête, des inspecteurs de la police mobile qui sont encore venus l'entendre le matin même de l'enterrement de la vic- time.

— On viendra me prendre demain matin — aujourd'hui — à 8 heures.

La levée du corps aura 1 ieu à 9 heures, au cimetière de Vayres- sur-Essonnes, puis, à 11 heures, au pays de ses parents, à Surchamp, près de Nemours, la cérémonie reli- gieuse.

Nous sommes revenus dans son petit logis, dans le pavillon d'an- gle. L'évocation de l'apparat funè- bre tout à coup a rompu sa maîtrise de soi. Elle sanglote,

Verglas, lors de l'autre guerre, fut un glorieux soldat. Médaille mili- taire, croix de guerre, une blessure, trois citations.

Un homme courageux.

« Toujours volontaire, pour tou- tes les missions, commente sa femme dans les larmes.

— Un garde-chasse parfait, m'a déjà dit tout à l'heure la châtelaine.

Il vous préparait, à volonté, le ta- bleau que vous souhaitiez : vingt, trente lièvres, selon la commande et le nombre de fusils. Et pourtant son terrain de surveillance était im- mense : tous les bois de la fédéra- tion de la plupart des propriétai- res des environs, qui l'avaient en- gagé voici deux ans.

On imagine Verglas, marchant à longueur de journée, à travers la forêt aux vallonnements pavés de ces rochers qui font l'attrait des entours de Fontainebleau pour les alpinistes parisiens.

Il n'avait ni horaires, ni itinéraires fixes, répond sa femme à l'une de mes questions. Il faisait son service comme il l'entendait, en homme de devoir. Il était même sévère, je le reconnais, mais comme on l'a pré- tendu, pas à verbaliser par exemple

contre un militaire en permission qui tire un lièvre au lieu du lapin qu'il est seulement permis de chasser.

Elle s'interrompt, tamponne de son mouchoir ses yeux rougis :

— Il m'a quittée vers 7 h. 15 le ma- tin. Je l'attendais pour le déjeuner, à midi. Le lendemain, avec les gendar- mes, j'ai relevé ses traces, j'ai suivi la piste dans la neige. Le sol était gelé jusqu'à quarante centimètres de profondeur. C'est pourquoi, à mon sens, les assassins l'ont jeté à l'eau parce qu'ils ne pouvaient pas l'en- terrer.

Les policiers ont déjà demandé à Mme Verglas si elle connaissait à son mari des ennemis :

— Non, je n'en connaissais pas.

Ecur moi, d'ailleurs, ce ne sont pas des gens d'ici qui ont fait le coup.

Plutôt des étrangers — elle veut dire étrangers au pays — surpris, sans doute, en flagrant délit. Moi-même, en suivant ses traces, j'ai vu, dans les taillis, des pièges qui ont dû le con- duire jusqu'aux braconniers.

Il n'en reste pas moins que la ri- gueur, plutôt intransigeante, de Ver- glas dans l'exercice de ses fonctions, avaient pu lui valoir de ces inimi- tiés qui ne désarment pas. Il n'allait jamais au café, autant par goût vo- lontaire pour la solitude que par naturelle sobriété. Nombre de « bra- cos » du coin qui, eux, fréquentent les estaminets, avaient, aussi, été ses victimes. La liste en est longue de ceux-là, qui, jugés et condamnés sur des rapports du garde, doivent faire aujourd'hui, chacun, l'objet de par- ticulières investigations. Leur cas étudié, leur responsabilité écartée, alors on pensera à ceux que Mme Verglas appelle des étrangers. Et des étrangers passent rarement inaperçus dans des villages comme Bouville, voire comme Vayres-sur-Essonne. —

J. B.